Chanter en polyphonie : un plaisir accessible à tous !
Si vous avez déjà chanté en chœur ou même simplement fredonné une mélodie pendant qu’une autre voix harmonisait à côté de vous, vous avez ressenti la magie de la polyphonie vocale.
La polyphonie, (du grec signifiant plusieurs sons) est un tissage de voix qui se mêlent, s’entremêlent, se démêlent, se côtoient et se répondent. Plus sérieusement, c’est une façon d’écrire la musique qui permet à toutes les voix d’avoir le plaisir de la mélodie, tout en ayant aussi le plaisir de l’harmonisation. Il existe beaucoup de polyphonies différentes. Les principaux styles polyphoniques sont : la polyphonie renaissance (même si ça existait avant, dès le moyen-âge, et que ça a continué d’exister après, mais c’est vrai que la Renaissance est un peu l’âge d’or de la polyphonie !) et les polyphonies des chants du monde (chants géorgiens, des balkans, corses, sardes, basques…) Les polyphonies peuvent aussi être improvisées et il peut y en avoir dans des pièces contemporaines pour choeur. Quand on parle de chant à plusieurs voix, on retrouve parfois les termes polyphonie et harmonie. Il faut comprendre la différence pour saisir ce qui rend la polyphonie si particulière.
L’écriture harmonique est basée sur une mélodie principale accompagnée d’accords. L’exemple le plus courant est une chanson avec une voix principale et des chœurs qui soutiennent avec des accords. Dans ce cas, les voix secondaires ne sont pas indépendantes : elles servent à enrichir la ligne mélodique principale en ajoutant de la profondeur et de la couleur sonore. (Si on isole ces deuxièmes voix et qu’on les chante toutes seules, ça ne donnerait pas grand chose). C’est aussi souvent le cas dans les pièces classiques pour chant choral. SI je caricature un peu les rôles de chaque type de voix dans une chorale, les sopranos vont avoir la mélodie, la basses chantent… la ligne de basse (!) les ténors vont souvent avoir une mélodie qui vient compléter celle des sopranos, et les altis vont avoir une ligne souvent moins mélodique, qui vient un peu combler les trous de l’harmonie (ce qui en fait une voix particulièrement difficile à apprendre par cœur!)
L’écriture polyphonique, en revanche, repose sur plusieurs lignes mélodiques autonomes qui s’entrelacent. Chaque voix suit son propre chemin mélodique, mais toutes s’harmonisent entre elles. Elles peuvent avoir le même débit de parole, on dit alors que le chant est homorythmique. On retrouve cette écriture dans les chants traditionnels de nombreuses cultures, ainsi que dans des styles plus élaborés comme le contrepoint de la musique baroque. Si on isole n’importe quelle voix d’une pièce polyphonique, on aura une jolie ligne mélodique qui pourrait se suffire à elle-même. C’est en partie pour ça que la polyphonie renaissance est difficile à chanter et à mettre en place, mais cela fait toute sa beauté.
Pourquoi tous les chants à plusieurs voix ne sont-ils pas de la polyphonie ?
Un chant à plusieurs voix n’est polyphonique que si chaque voix a une certaine indépendance mélodique. Si les autres voix se contentent d’harmoniser ou de soutenir la mélodie principale sans avoir une vraie ligne autonome, on parle plutôt d’harmonie.
Exemple :
- Une chanson pop avec une voix principale et des « backing vocals » , ce que j’appelle des deuxièmes voix, qui chantent légèrement en retrait des accords (parfois même sans paroles, juste sur O ou A !) → écriture harmonique.
- Un chant traditionnel corse où chaque voix suit une ligne mélodique différente mais complémentaire → écriture polyphonique.
- Un chant classique où toutes les voix ont des mélodies complexes, notes à notes → écriture contrapuntique. (comme chez Bach)
Les compositeurs peuvent très bien mélanger ces trois façons d’écrire la musique au sein d’un même morceau… On peut observer ça chez Monteverdi, Mozart, ou bien dans la musique contemporaine pour choeur …
C’est donc l’interaction entre différentes voix autonomes qui donne à la polyphonie sa richesse et sa complexité ! Dans le répertoire polyphonique, ne vous inquiétez pas, il y en a pour tous les niveaux : Il y a de la polyphonie assez simple (chants traditionnels espagnols, chants de la renaissance période de la contre-réforme…) et il y a de la polyphonie très très complexe, avec des mélodies vocalement exigeantes, des dissonances, des pièges et des rythmes très compliqués ! Quand nous travaillons en stage, je propose toujours quelques morceaux polyphoniques. Je choisi des pièces qui permettent de se challenger tout en étant abordable et que le travail de mise en place reste ludique. Je vous encourage à vous lancer dans la polyphonie avec des pièces comme celles que je choisi, afin de ne pas vous décourager !
Combien de voix dans une pièce polyphonique ?
En choeur, on chante généralement de la polyphonie à 4 voix. Quand on parle de voix dans ce contexte, cela fait référence au nombre de lignes musicales qu’il y a dans le morceaux, pas au nombre de chanteurs. Nous pouvons faire un morceau polyphonique à 4 voix avec 4 chanteurs (on appelle ça du un par voix, c’est mon préféré !) ou bien 120 ! Tout est une question de choix et d’esthétique. Les chants traditionnels polyphoniques sont souvent à trois voix, mais dans les chants de la renaissance, il n’est pas rare d’avoir des démultiplications : chants à 8 (on parle parfois de double choeur), 12 (triple choeur) 16, 32, 40 (Motet de Thomas Tallis) voire 60 voix (le fameux motet de Striggio!) Cela veut dire qu’il faut 60 chanteurs capables de chanter une ligne mélodique, tout seul, sans se laisser influencer par les autres voix.
C’est évidemment un grand plaisir de chanter en polyphonie, mais pas besoin d’être 60, déjà, à deux chanteurs, il y a matière à s’éclater ! Cela crée une musique vivante, vibrante, où chaque voix compte. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la polyphonie n’est pas réservée aux chanteurs confirmés !
Après 30 ans d’expérience dans le chant polyphonique – que ce soit en chœur, en un par voix, en direction de choeur ou en composition – je peux vous assurer que chanter à plusieurs voix est une expérience incroyablement enrichissante, et accessible à tous, même aux débutants. Alors, pourquoi ne pas vous lancer ? Je vous préviens, chanter en polyphonie est totalement addictif !
Les défis de la polyphonie
Oui, chanter en polyphonie demande quelques efforts au début, quand on a pas l’habitude. Le principal challenge, c’est d’apprendre à écouter les autres tout en tenant sa propre ligne mélodique. On a souvent tendance à se laisser happer par la voix dominante ou à se perdre. Mais rassurez-vous, ça s’apprend !
Voici quelques difficultés courantes :
- Tenir sa voix sans se laisser influencer : au début, il est normal d’être déstabilisé par les autres voix. Travailler sa ligne seule avant de l’intégrer au groupe est la meilleure solution. Et puis il faut beaucoup s’entrainer !
- Trouver la justesse : en polyphonie, l’oreille se développe énormément ! Plus on chante en harmonie, plus on affine son écoute et sa capacité à ajuster sa voix.
- Coordonner respiration et rythme : la polyphonie demande une synchronisation impeccable entre les chanteurs. Cela vient naturellement avec la pratique et l’attention portée aux autres.
Pourquoi la polyphonie est un formidable outil de progression vocale
Chanter à plusieurs voix ne se résume pas à une simple addition de mélodies. C’est un véritable exercice d’écoute, de placement vocal et d’ancrage musical. En travaillant la polyphonie, vous allez :
Améliorer votre justesse : l’oreille se développe, et vous apprenez à ajuster instinctivement votre voix aux autres.
Renforcer votre confiance : sentir qu’on fait partie d’un tout et qu’on apporte sa pierre à l’édifice musical est extrêmement valorisant.
Développer votre sens du rythme et de la respiration
Explorer de nouvelles couleurs vocales : certaines harmonies vous amènent à utiliser des timbres et des résonances insoupçonnées.
Prendre un immense plaisir ! La polyphonie, c’est une expérience collective qui crée des liens et génère beaucoup d’émotions.
Ecouter la musique différemment : au plus on affine son oreille musicale, au plus on est apte à percevoir les subtilités de la musique… bienvenue dans un nouveau monde sonore !
Etre dans le partage. La culture polyphonique, c’est quelque chose qui se perds. On le voit bien, les enfants ont de moins en moins l’habitude de chanter des canons, et la musique qu’on entend à la radio n’est généralement pas polyphonique. Je trouve que c’est dommage parce que chanter en polyphonie, pendant une fête, familiale ou amicale, par exemple, est expérience forte qui resserre les liens des personnes qui participent. Nous avons tellement besoin de prendre soin de nos liens humains, n’est-ce pas ?
Et si vous essayiez ? Voici votre challenge !
Si tout cela vous donne envie, je vous propose un premier pas concret : apprendre une polyphonie avec moi ! J’ai préparé une vidéo YouTube pour vous faire découvrir une belle pièce polyphonique accessible à tous. C’est un chant traditionnel espagnol harmonisé à 4 voix en 1924 : Ay Linda Amiga. C’est un tube ! C’est très beau, efficace et franchement facile à mettre en place.
Comment faire ?
- Choisissez la voix qui vous convient le mieux entre les 4 que je chante : soprano, alto, ténor, basse.
- Une fois que vous avez choisi, apprenez cette voix pour être très à l’aise avec. Vous devez être capable de chanter votre partie tout seul, sans le support de ma voix.
- Une fois votre voix bien apprise, entrainez-vous à la chanter en même temps que moi, mais quand je chante une autre voix. Par exemple, si vous apprenez la voix d’alto, vous avez trois opportunités. Vous pouvez chanter avec moi quand je fais la voix de soprano, de ténor et de basse. C’est un très bon exercice de faire les trois options parce que vous entendrez des choses différentes. Cet exercice va vous permettre de prendre conscience de tout ce qu’il se passe dans le morceau (les dissonances, les jeux de questions/réponse, les jeux d’alliance des voix … ) et ainsi vous allez affiner votre perception de la musique.
Maintenant, profitez ! Éclatez-vous ! Écoutez ce que ça donne !
Je vous donne trois derniers conseils pour chanter en polyphonie :
- Apprenez bien le RYTHME de votre partie. La polyphonie est une construction très précise et si on reste approximatif avec le rythme, on risque de passer à côté de belles choses. Apprenez aussi le rythme des silences !
- Surtout, surtout, surtout : ne vous bouchez pas les oreilles en pratiquant, il est très important d’apprendre à chanter une voix pendant que quelqu’un d’autre chante une autre voix en même temps. C’est le sens polyphonique que vous êtes en train de développer ! Si vous vous bouchez les oreilles, vous n’entendrez pas la polyphonie, vous ne pourrez pas faire de la musique avec l’autre. Ne prenez pas cette mauvaise habitude qui vous empêcherait de progresser.
- Si ce challenge vous paraît un peu trop difficile pour l’instant, voici une astuce pour commencer à s’entrainer : chantez des canons en famille ou avec des amis. Tout le monde en connaît et c’est à mon sens le meilleur moyen pour s’entrainer à chanter une autre voix que son voisin. Vous avez un choix quasi infini de canons, parmi les plus connus : frère jacques (sur une jolie mélodie baroque!), et vent frais vent du matin (sur une mélodie traditionnelle anglaise). Il existe des canons très difficiles à chanter aussi, vous avez une belle marge de progression devant vous !
Voici un canon que j’aime beaucoup et que nous avons chanté avec ma famille cet été (avec Matias, mon frère, ma soeur, et une ribambelle de neveux et nièces !) :
Essayez, amusez-vous, et dites-moi en commentaire comment vous vous sentez quand vous chantez à plusieurs voix. La polyphonie, c’est une aventure musicale et humaine, et je serai ravie de la partager avec vous !
Alors, prêt(e) à vous lancer ?
Lisa Magrini
19 Mars 2025
un vrai régal, tout est tellement facile avec une initiatrice de cet valeur
bises Roger